E n t r e t i e n s

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Avec Trần Anh Hùng

Avec Trần Anh Hùng







Cette interview a été réalisée lors du 18è Festival International des Cinémas d'Asie (FICA) de Vesoul du 14 au 21 février 2012.


Intervieweur :
Trần Anh Hùng, bonjour. Merci de nous accorder un petit entretien. C'est pour un petit bulletin destiné aux cinéphiles de l'INALCO. Notre première question porte sur votre parcours. Ce qui vous a amené au cinéma. Qu'est-ce qui a été décisif dans votre choix ?

Trần Anh Hùng :
Je dirais que je n'ai jamais pensé à faire du cinéma. J'ai fait mes études en France normalement et je me suis retrouvé à étudier la philosophie à l'université. Durant ces premières années de philosophie, j'ai vu un film fait par un Vietnamien vivant en France, Lê Lâm et le film s'appelle Poussière d'empire. Quand le film est sorti, ça m'a donné le déclic en quelque sorte. Je me suis dit que si un Vietnamien pouvait faire ça en France, moi, j'aimerais le faire aussi. C'est comme ça que j'ai arrêté mes études de philosophie et que j'ai embêté mes amis pour qu'ils me donnent des cours de maths et de physique pour pouvoir passer le concours de l'École Nationale Louis Lumière, encore appelée l'École de Vaugirard, pour étudier le cinéma. J'étais dans la section des chefs opérateurs parce que je pensais qu'on ne pouvait pas apprendre à être réalisateur. Il suffisait de voir de bons films pour être réalisateur.


Intervieweur :
Comment s'est passée votre intégration dans le milieu des cinéastes ? Est-ce quelque chose d'évidente, facile ou bien avec des difficultés ?

Trần Anh Hùng :
Je pense que je n'ai jamais été intégré au milieu du cinéma. D'abord parce qu'au lieu de faire de l'assistanat dans le milieu cinématographique j'ai préféré passer quatre années à vendre des livres au Musée d'Orsay pour gagner ma vie. J'ai fait un temps partiel : 4 jours par semaine, et il me restait 3 jours pour écrire des scénarios. Parce que je voulais conserver la fraîcheur et la peur au ventre de me retrouver sur le premier plateau qui serait mon premier plateau de film. C'était un choix tout à fait particulier.

Intervieweur :
Le choix d'un esprit indépendant, si on peut dire …

Trần Anh Hùng :
Oui, et comme je suis aussi quelqu'un d'assez solitaire, je n'ai jamais voulu fréquenter le milieu du cinéma. Je ne vais à aucune projection d'équipe, je ne vais à aucune fête organisée autour du cinéma.

Intervieweur :
Vos sources d'inspiration c'est la culture asiatique (vietnamienne et japonaise). Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Trần Anh Hùng :
Disons que le choix de mes sujets s'impose naturellement. On n'a pas 36 mille idées en tête. Quand une idée apparaît et qu'elle se met à se développer naturellement dans ma tête, ça devient un sujet de film. Je n'ai pas une volonté très forte de traiter tel ou tel sujet, ou tel ou tel thème. C'est juste des choses très simples qui passent et je me suis dit j'aimerais montrer ça. Et à partir de là je commence à construire l'histoire et aussi un thème qui sortirait de là. Voilà, on ne peut pas vraiment dire que j'ai une source d'inspiration particulière. Ça apparaît ou ça n’apparaît pas. Par exemple je n'ai jamais fait de films français parce qu'il n'y a rien qui s'imposait naturellement. Et là mon prochain film sera un film français. Parce que j'ai lu un livre qui m'a suggéré une forme cinématographique intéressante à faire. C'est comme ça que pour moi c'est naturel de faire un film français.

Intervieweur :
Comme vous avez une double culture, sans parler de la culture laotienne...

Trần Anh Hùng :
Oui aujourd'hui comme on vit dans un monde moderne, et comme je vis à Paris les cultures sont multiples. Les produits culturels de tous les pays sont accessibles. Voyez, on s'imprègne de tout ça. Je ne sais pas si on peut dire que j'ai une double culture. Probablement oui.

Intervieweur :
Votre premier long métrage "L'odeur de la papaye verte" qui a été bien accueilli par le public : qu'est-ce qui vous a amené à tourner ce film, à travailler sur ce thème ? La papaye verte c'est quelque chose qui fait penser à l'Asie... et plus précisément l'Asie du Sud-Est. Pouvez-vous nous raconter un petit peu tout ça ?

Trần Anh Hùng :
Je crois que j'avais envie de ressusciter les impressions de ma jeunesse. Ce sont la cuisine, ce qu'on mange et ce que j'ai pu lire dans les livres sur la servitude de la femme vietnamienne et donc je voulais faire un film qui parlerait de ça.

Intervieweur :
On va enchaîner sur les méthodes de travail. En tant que cinéaste vous avez une formation occidentale, et récemment vous avez tourné au Japon. Vous avez travaillé avec des acteurs japonais, et avec le producteur japonais. Est-ce qu'il y a une différence entre votre façon de travailler et celle de vos collègues japonais ?

Trần Anh Hùng :
Bien sûr il y a une différence dans les habitudes de travail. Je dirais que chaque réalisateur a sa propre méthode, déjà. Donc ce n'est pas une affaire de nationalité. C'est vraiment une affaire de savoir comment un réalisateur va mettre en place une structure, une méthode de travail qui permet d'obtenir ce qu'il souhaite pour son film. Chaque auteur a sa propre méthode. Ce que j'ai fait, d'un film à l'autre, je change la façon de travailler déjà au stade de l'écriture du scénario. Je n'ai jamais écrit deux scénarios de la même manière. Il y a des scénarios que j'ai écrits de manière chronologique, et pour d'autres j'écris des scènes éclatées et ensuite je trouve des liens. Donc tout est possible selon la nature même du projet et la sensation que je cherche à communiquer aux spectateurs. Je change ma façon de travailler. Je dis toujours à mes collaborateurs quand il s'agit des collaborateurs réguliers, je leur demande toujours de tout rejeter, d'oublier ce qu'on a fait pour le précédent film, pour démarrer une manière différente. Parce que ça c'est une chose importante. Et moi même je ne cherche jamais à reprendre ce que j'ai fait avant. La plus grande qualité serait la capacité d'oublier ce qu'on a fait. Voilà, ça c'est vraiment important.

Intervieweur :
C'est une approche asiatique, bouddhiste même, du bouddhisme zen...

Trần Anh Hùng :
Je ne sais pas …

Intervieweur :
On ne s'accroche pas aux expériences. On laisse l'esprit libre de s'adapter à la nouvelle situation...

Trần Anh Hùng :
Oui c'est ça. C'est quand même plus excitant de découvrir des choses dans une forme d'inquiétude et d'éveil en permanence plutôt que d'appliquer quelque chose dont on sait que ça fonctionne.

Intervieweur :
Dans le dernier film que vous avez tourné au Japon, il y a un thème qui est comment dire... pénétrant puisqu'il s'agit du suicide de jeunes. Est-ce vous pouvez nous en dire un mot ?

Trần Anh Hùng :
Je connais peu de chose sur ce thème du suicide de jeunes. Pour faire le film je n'ai pas étudié parce que pour moi le cœur du film est ailleurs. Effectivement le phénomène du suicide au Japon est assez important. Il est d'autant important et impressionnant que la littérature s'en empare. Ce qui en fait un sujet des Beaux-Arts. Je pense aussi que si le suicide au Japon est tellement fascinant pour les artistes c'est parce que probablement ce sont les suicides le plus mystérieux, les plus secrets. Les Japonais parlent peu. Quand ils décident de disparaître ils ne laissent aucune trace. Et ça c'est vraiment impressionnant. Ça fait le cœur de ce film dans la mesure où le suicide initial, celui de Kizuki provoque une incompréhension pour ceux qui survivent, parce qu'ils n'ont aucune possibilité de répondre à leur interrogation sur ce suicide, ce qui les hante sur tout le film.

Intervieweur :
Pour terminer pouvez-vous nous raconter un peu de votre expérience sur le tournage du dernier film, La ballade de l'impossible ?

Trần Anh Hùng :
C'est une expérience très agréable parce que j'ai travaillé avec une équipe japonaise. Les Japonais sont des gens qui travaillent beaucoup et d'une très grande rigueur. Évidemment nous avons eu énormément de réunions, peut-être plus que sur tous mes autres films réunis. Parce que c'est la façon de travailler d'une équipe japonaise. On aime se concerter. Quand on fait une réunion sur le costume, tous les autres départements sont là. On a des réunions à 40 personnes et tout ce monde-là prend des notes du début jusqu'à la fin, reste silencieux, écoute ce qu'on dit. On note absolument tout. C'est ça la manière de travailler au Japon. Avec ma façon de travailler qui nécessite quelquefois des improvisations, au début ça a un peu perturbé l'équipe japonaise parce qu'il y a des choses dont on a discuté pendant des semaines, et qu'on a dit qu'on allait faire tel jour et ce jour-là j'ai décidé de ne pas faire ça, mais de faire tout à fait autre chose, c'est très choquant pour eux, il y a comme une sorte d'irrespect pour le travail. Mais très vite ils ont compris que j'ai besoin de ça pour pouvoir travailler comme on le sent. Un film ça évolue dans la tête, après une semaine de tournage le film qu'on avait dans la tête, la vision qu'on avait a changé. Et après trois semaines, c'est encore changé. Il faut à chaque instant s'adapter à ce qu'on a acquis après X semaines de tournage, etc. Ils ont fini par comprendre ça.

Intervieweur :
Finalement tout le monde était content...

Trần Anh Hùng :
Oui je pense qu'à la fin c'est une expérience qui était tout à fait vivifiante pour eux, une expérience tout à fait nouvelle. Pendant le tournage c'était un peu agaçant, mais après ils ont dit que ça a été une expérience très agréable pour eux.

Intervieweur :
Merci à vous, Trần Anh Hùng, d'avoir bien voulu répondre à nos questions.

Propos recueilli par NVKy

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